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Affaire tentative de coup d’État au Bénin : « Jamais je n’ai sérieusement pensé qu’Olivier Boko convoitait la fonction que j’occupe », Patrice Talon brise enfin le silence

Pour une première, le Chef de l’État Patrice Talon se prononce sur l’Affaire tentative de coup d’état contre son régime. Une affaire pour laquelle a été jugé son ancien ami et bras droit Olivier Boko et son ancien ministre Oswald Homeky. C’est au détour d’une interview qu’il a accordée à Jeune Afrique. Nous vous proposons ci-dessous quelques extraits de ses déclarations.

Jeune Afrique : Votre ami et confident, Olivier Boko, a été arrêté dans la nuit du 23 au 24 septembre 2024, puis jugé et condamné vingt années de prison, le 30 janvier dernier, pour « complot contre l’autorité de l’État », avec l’ancien ministre Oswald Homéky. Comment avez-vous vécu cet épisode? »

« Jai vécu l’exil, la conquête puis l’exercice du pouvoir. Je lui ai fait confiance, au point de lui déléguer nombre de prérogatives dont il me déchargeait pour me permettre de me consacrer entièrement aux multiples dossiers techniques, dans leurs plus petits détails. Il rencontrait pour moi les acteurs politiques et sociaux, les représentants de la société civile, les dignitaires religieux, et répondait à ma place à de multiples sollicitations. Il était, tout au moins l’ai-je cru jusqu’au bout, mes yeux et mes oreilles, tant il est vrai que, dans un pays comme le Bénin, le président ne peut être partout à la fois.

Ma confiance envers lui était totale au point de que je lui avais délégué le contrôle des services de renseignement et de ma propre sécurité. Au cours du procès, le chef de la Garde républicaine, le colonel Tévoédjrè, l’a dit : Olivier Boko était le seul, en dehors du président, à pouvoir lui donner des instructions…»

Jeune Afrique : Que s’est-il passé pour que votre bras droit se retrouve derrière les barreaux de la prison de Cotonou ?

« Je ne sais pas ce qui lui a pris. Pourtant, il était dit et convenu entre nous qu’autant je refusais de m’éterniser au pouvoir – et cela pour le
bien du pays et de la démocratie –, autant, et pour les mêmes raisons,
il était inenvisageable à mes yeux que mon successeur soit issu de ma
famille ou de mon clan. Or, si un homme était de mon clan, c’était bien
lui. Jamais je n’ai sérieusement pensé qu’Olivier Boko convoitait la fonction que j’occupe ».

Jeune Afrique : Cet objectif était pourtant devenu explicite avec le lancement, en
juillet 2023, du mouvement OB 26, qui ne se cachait pas de
promouvoir la candidature de votre fidèle second à l’élection présidentielle.

« Figurez-vous que, lorsqu’on est venu m’annoncer cela, j’ai d’abord cru
à des sornettes. Puis, les preuves de cet activisme commençant à
s’accumuler, je me suis dit : « Quand viendra-t-il me voir pour crever
l’abcès et m’en parler ? » Comme il ne donnait aucun signe en ce sens,
j’ai fini par l’interroger. Il m’a répondu que tout cela se faisait à l’insu
de son plein gré, mais qu’il fallait bien laisser les gens s’exprimer. Je l’ai écouté, à demi rassuré.

En fait, il faut le reconnaître, j’étais dans le déni. Cela me paraissait à
la fois invraisemblable venant de lui, et techniquement irréalisable.
Comment pouvait-il croire qu’une candidature solitaire, en dehors des
partis, puisse prospérer, dans la mesure où le code électoral stipule
que seuls les candidats désignés par un parti sont en mesure de compétir ? Je crois que c’est à partir du moment où il s’est rendu
compte que cette voie était une impasse qu’il a commencé à penser au pire ».

Jeune Afrique : Le fait qu’il souhaitait vous succéder n’était pas votre volonté. Mais en quoi était-ce illégitime ?

« Ça ne l’était pas, vous avez raison. J’avais beau ne pas y être favorable pour les motifs que je vous ai dits, sa candidature aurait très bien pu
s’imposer à moi. Olivier Boko devait, pour cela, comme le prévoit la
loi, se faire adouber par un parti. Pourquoi n’a-t-il pas suivi ce processus démocratique et a-t-il préféré l’usage de la force pour aller
jusqu’au bout de son rêve ? Aujourd’hui encore, cette question me
taraude ».

Jeune Afrique : Avez-vous échangé avec lui, depuis son arrestation ?

« Non. J’ai espéré un message de regrets et d’excuses de sa part, en vain.
Je n’en suis pas étonné outre mesure, vu la personne qu’il est devenu,
mais cela me fait encore souffrir ».

Jeune Afrique : Quand et comment le colonel Tévoédjrè vous a-t-il informé de l’existence d’un complot ?

« À la mi-août 2024, au retour de mes vacances. Il a demandé à me voir. Je l’ai reçu. « Monsieur le président, m’a- t-il dit, il y a quelque chose de grave dont je dois vous parler et qu’il vous sera pénible d’entendre. J’ai été contacté par l’ex-ministre Oswald Homeky afin de perpétrer un coup d’État contre vous, pour le compte de M. Olivier Boko ». Il a continué en me donnant les détails de leur rencontre. J’étais abasourdi, et ma première réaction a été de lui dire de couper tout contact avec ces gens. « Je ne peux pas, m’a répondu le colonel, ce putsch, ils vont le tenter par d’autres moyens. Ils sont déterminés. Ce n’est pas une affaire familiale, c’est une affaire d’État ».

Je suis sorti quelques minutes pour me rafraîchir le visage, jai réfléchi, puis je lui ai dit: « Colonel, faites ce que vous commande votre devoir ». Quelques jours plus tard, il est revenu me voir, après une nouvelle rencontre avec les comploteurs. Ces derniers s’étaient dit disposés à lui remettre une forte somme d’argent – 1,5 milliard de FCFA -pour l’aider à convaincre ses subordonnés de la Garde républicaine de le suivre dans cette aventure. C’est là que je me suis réellement rendu compte que cette histoire était sérieuse.

J’ai ma part de responsabilité, bien sûr. Sans m’en rendre compte, jai créé un monstre qui, telle une araignée, avait méthodiquement tissé sa toile dans tous les milieux de la vie publique : politiciens, magistrats, services de sécurité, hommes d’affaires. Comme, avant chaque nomination, il était chargé de me présenter le CV des candidats, il s’en attribuait le mérite auprès des intéressés. Il s’était entouré d’une cour de flatteurs qui l’encourageait dans son ambition. Et c’est cela qui l’a perdu….. ».

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